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Jean-Claude Petit

Journalist-Writer, France
 biographie

Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,

Avant de donner la parole aux différents intervenants, permettez-moi de vous livrer quelques réflexions personnelles sur la violence. Elles ont pour objet de situer le cadre de notre débat, étant entendu que si nous réfléchissons ensemble, cet après-midi, sur les chrétiens et la violence dans le monde contemporain, c’est pour mieux défricher les chemins de la paix. Ces réflexions seront au nombre de trois.
 
1°) L’obligation d’aller au-delà du pur concept de violence

La violence a besoin d’être observée, prise en compte et analysée sous toutes les formes qu’elle revêt et dans tous les registres dont elle dispose pour exercer ses sinistres desseins. Il n’existe pas de « violence en général » mais bien des violences précises qui atteignent, parfois jusqu’à la mort, des êtres « singuliers ». Face à la réalité complexe et multiforme du monde contemporain, utiliser le concept générique de violence sans se donner la peine d’en préciser ni le visage, ni les auteurs, ni les conséquences humaines, comporte un triple risque. Le risque de l’angélisme, celui de la naïveté, celui de la cécité. Conjurer ce triple risque est, par conséquent, une nécessité pour l’artisan de paix magnifié par les Béatitudes. Comme tout artisan, c’est-à-dire comme tout travailleur manuel, il ne peut, en effet, exercer sérieusement son métier, s’il ne dispose pas d’instruments appropriés et de matériaux spécifiques. L’appréhension des violences sous leurs formes multiples et la mesure de leurs impacts seront ses premiers outils.

2°) La force, souvent destructrice, des images

Dans cette connaissance des violences contemporaines, l’artisan de paix portera une attention toute particulière aux images de violence diffusées à la télévision et sur Internet. Parce qu’elles s’expriment facilement dans nos esprits, les images deviennent emblématiques de notre société. Qui ne se souvient des images du 11 septembre 2001, des attentats de Madrid, de Bagdad ou de Londres, mais aussi des images quotidiennement présentes sur nos écrans ? Parce qu’elles sont simplificatrices et facilement caricaturales, les images ancrent en nous une somme considérable de préjugés et d’a priori à l’égard des autres : les musulmans, les Africains, les Maghrébins, les juifs… Ainsi, au lieu d’être l’instrument bénéfique qu’ils pourraient être par nature et qu’ils devraient être par vocation, on est en droit de se demander si les médias, principalement audiovisuels, ne servent pas une culture de violence plutôt qu’une culture de paix.

3°) A la racine des violences, l’humiliation

Il est relativement aisé de décrire les racines majeures d’un certain nombre de violences. Elles peuvent être matérielles, sociales, ethniques, politiques, religieuses. Mais il en est une, plus intérieure, et donc moins immédiatement saisissable, qui est sous-jacente à toutes les autres et qui est, en quelque sorte, leur conséquence. Elle s’appelle l’humiliation. Les humiliés, note le Dictionnaire français, sont des êtres « mortifiés ». Mort-ifiés, c’est-à-dire en voie de mort, très précisément en voie de dé-composition. De sujets qu’ils sont, les humiliés deviennent des objets. Ils se comptent ainsi par millions les hommes, les femmes, les enfants dont l’humiliation s’inscrit en lettres de feu dans les mémoires personnelles et collectives. A leur souffrance silencieuse risque alors de s’ajouter l’enfermement intérieur dont la guérison sera lente et difficile, à moins qu’il ne conduise à une volonté de revanche haineuse, manipulable à l’envi.

S’ils veulent participer à la construction de la paix en artisans compétents, les chrétiens ont l’obligation « professionnelle » de prendre en compte cette donnée fondamentale de l’humiliation. Il n’est pas sûr qu’il en aille ainsi. J’en veux pour preuve récente ces cohortes de pèlerins pieux, montant à Bethléem vers la basilique de la Nativité au son des cantiques, puis repartant à grandes enjambées vers leurs autocars sécurisés. De leurs frères chrétiens condamnés au chômage et à la solitude, des trois camps de réfugiés de la ville, des hommes et des femmes qui attendent à 4 heures du matin dans les corridors grillagés des check points, des enfants traumatisés par la peur, du mur de 8 mètres de haut qui enferme la ville et ses habitants, ils ne sauront rien. Rien de rien. Plus tard, trop tard, ils risquent de dire qu’ils ne savaient pas.

L’artisan de paix, décidément,
ne peut pas être un ignorant.
Ni des multiples formes de la violence.
Ni des images qui l’impriment dans l’esprit de nos contemporains.
Ni dans l’humiliation mortifère qu’elle engendre.