1 Octobre 2013 09:30 | Université Urbanienne - Auditorium Jean-Paul II
Le terrorisme religieux interpelle les croyants
Les religions rencontrent différents défis sur leur chemin d'approche de l'Absolu et de l’Ineffable. L’un des plus difficiles est celui d’utiliser le nom de Dieu pour tuer souvent de manière aveugle d’autres personnes, croyants ou non croyants, et parfois des personnes de sa propre religion. Le terrorisme mis en acte en invoquant le nom de Dieu est une attaque contre les convictions de beaucoup d'hommes et de femmes qui partagent la foi des assassins, mais c'est aussi une agression contre chaque croyant. En effet, le plus grand blasfème qu'on puisse adresser à Dieu est d’en faire le Dieu de la violence au lieu de le reconnaître comme le Dieu de la paix. Le terroriste qui tue, parfois en laissant sa propre vie dans l’attentat et dans le massacre, ne rend pas un culte à Dieu mais à une idéologie de mort qui prend Dieu comme justification de la haine et de la violence s’abattant sur des innocents. Celui qui tue, convaincu que son choix est dicté par la volonté divine, ne défend pas la cause de Dieu: aucun homme de religion, juste et miséricordieux, ne présentera Dieu comme celui qui commande un ordre de mort, une destruction de la vie qui est un cadeau divin et donc sacro-saint. Le terroriste qui pense qu'en tuant des innocents il ira au paradis, ne voit pas qu’on peut difficilement entrer au paradis, lieu de la vie éternelle, après avoir tué au nom du Dieu de la vie.
Cependant, il y a un drame intérieur chez les personnes et les peuples qui poussent d’autres personnes à se laisser entraîner et à devenir des messagers de la mort. Nous pourrions dire que les terroristes religieux sont souvent comme les petits dont parle Jésus, des personnes scandalisées par les autres (Marc 9,42), ce qui les pousse à agir de façon omicide après leur avoir indiqué, comme terroristes, qu’ils ont été appelés par Dieu, qu'ils font l’objet d'un choix providentiel. En effet, ils sont conduits à faire mourir, et éventuellement à mourir eux-mêmes, comme acte suprême de religiosité et de foi en Dieu. Par conséquent, ils sont instruits en vrais martyrs qui recevront une récompense extraordinaire au paradis. Il faut affirmer, avec la forte parole de Jésus déjà mentionnée, que celui qui pousse quelqu’un à tuer des innocents au nom de Dieu mériterait qu’on lui attache une meule au cou et qu’on le jette à la mer. Faire tomber des gens en les poussant à tuer des innocents au nom de Dieu mérite une réprobation totale. Jésus l'exprime par une image hyperbolique montrant la gravité de ce qui arrive. Combien de terroristes religieux ont été engagés en nom de Dieu parce qu'ils sont tombés dans le piège d'une violence justifiée au cri de "C’est Dieu qui le veut, sois courageux et tue! Tu ne perdras pas la vie. Mieux, tu regorgeras de biens dans le monde à venir!"
1. Le texte révélé, l'expérience, les comportements
Celui qui décide de tuer des innocents au nom de Dieu, de sa propre volonté ou en influençant autrui, a renversé et trahi les fondements de la religion qu’il professe. Il se pense comme un grand croyant mais en réalité, c'est un croyant tombé entre les mains du prince du mal, le seigneur du mensonge et de la violence. Mais comment en arrive-t-on à penser que Dieu demande la violence aveugle et sans visage à ceux qui ne regardent pas les yeux des victimes ni ne voient en elles un être humain, mais la proie d'une haine sans mesure? Peut-on tomber dans une telle déshumanisation que l'autre, un être humain, perde sa vraie nature? Les réponses à ces questions se trouvent dans les textes sacrés des religions, dans l'expérience religieuse et dans les comportements que les religions justifient.
Un texte révélé ou sacré est la principale source d’une religion. Mais il faut l'interpréter de façon juste et vraie, en harmonie avec les grands courants d’interprétation qui se forment à partir de lui. Lire le texte révélé ne peut pas se faire à la marge de la grande communauté des croyants. Quand on choisit de lire le texte à l'intérieur d'un groupe de solitaires ou de purs, qu'on se situe à l'écart, renfermé en soi-même, sans contacts avec la grande tradition, on risque d’interpréter incorrectement ce que Dieu veut dire par ces paroles. Dieu parle par la communauté de croyants, et non par un groupe avec une position idéologique préétablie qu’il voit confirmée dans le texte révélé. En un tel cas, on entre dans une confusion dangereuse: est-ce que je dis ce que dit le texte, ou ce que je veux que le texte dise ? A l’origine de beaucoup de terrorismes religieux, il y a une lecture partiale et intéressée du texte sacré qui le défigure et le rend méconnaissable.
Le texte révélé est la source et le garant de l'expérience religieuse. Mais quand ce texte n'est pas interprété selon la grande tradition de la communauté croyante, alors apparaît la justification du fanatisme idéologique, qui est le pas précédant le terrorisme religieux. La personne fanatique considère que sa position est unique et exclut donc toutes les autres. En outre, le fanatique ne se laisse jamais juger par personne et se sent juge de tous ; il considère que son expérience religieuse est si haute qu’elle devient inaccessible aux autres. Alors, la certitude avec laquelle il juge son expérience religieuse comme reçue de Dieu et de son Saint Esprit, sans que l'afflige aucun sens du péché, le porte à penser que toutes les autres expériences sont mineures. L'arrogance spirituelle le conduit à considérer comme juste toute violence quand il s’agit de défendre ou de fonder sa vérité, devenue entre temps l’unique vérité possible.
Si le texte révélé et sa propre expérience religieuse justifient la violence, il faut atteindre l'objectif à n'importe quel prix. Alors le terrorisme religieux, basé sur le fanatisme fondamentaliste clairement idéologique, devient une pratique qu'on ne peut pas contester. Le terroriste religieux tombe à ce moment dans le péché de tenter Dieu, de le mettre à l'épreuve. Il est si convaincu de son succès, et de la voie de la violence comme moyen de l'obtenir, qu'il assume des comportements comme le meurtre de l’innocent, qui est contre la loi naturelle et la conscience. Mais le terroriste religieux ne réfléchit plus. Il agit selon de fausses conclusions dérivées de présupposés non moins faux. Son relativisme moral est absolu: peu importe qui sera tué, le but doit être atteint!
2. L'interpellation faite aux croyants
Face à ces réflexions, on dirait qu'il y n'a aucune question pour les croyants. Il suffirait de ne pas agir comme agissent les terroristes, et d'éliminer toute violence et toute haine. Mais cette position serait insuffisante car elle réduirait les croyants à ne pas faire ce que font les terroristes. Une telle conclusion aurait un ton moralisateur qui éviterait au fond un quetionnement personnel.
En Luc 9,51-56, les disciples Jacques et Jean s'adressent à Jésus et disent: “Seigneur, veux-tu que nous commandions que le feu descende du ciel et les consume?” se réfèrant aux samaritains qui n'ont pas voulu accueillir Jésus qui passait. La destruction servirait seulement pour les ennemis! Mais Jésus réprimande les disciples et refuse de punir ces samaritains. Son attitude s’oppose au fanatisme religieux: il faut respecter la liberté de choix religieux.
Ce passage montre surtout qu'il faut écouter la voix des textes sacrés et de ses interprètes plus fidèles, les hommes vraiment spirituels. On ne peut pas comprendre un texte religieux sans le concours d'un exégète sage et qualifié, qui représente la communauté croyante et donne une parole juste en son nom. Le problème du terrorisme religieux est souvent la distance entre le terroriste et la foi de toute la communauté, et pas seulement celle d'un groupe radicalisé. Si on écoute la parole de Dieu à l'intérieur de la communauté par ses représentants plus qualifiés, si on n’y va pas tout seul, on s'aperçoit immédiatement que ces textes ne peuvent pas devenir prétexte. Aucun croyant ne devrait s’affranchir de la communauté, car celle-ci le préserve de faire le mal.
D’un autre côté, nous ne pouvons pas être naïfs et ne pas donner d’importance aux sentiments de violence envers l'autre. Le fanatisme obnubile le coeur de telle manière que le prochain devient un ennemi qu'il faut tuer. Dans son Évangile, Jésus exhorte à ne pas avoir ces sentiments, c'est-à-dire à ne pas croire à la violence. Il montre que la religion peut être utilisée méchamment et qu'il devient facile de la rejeter. On commence avec de petites insultes qui ne semblent pas particulièrement graves, et on finit avec une violence lourde et enracinée qui, comme pour les deux disciples déjà mentionnés, passe par la demande d'une punition divine. Jésus ne répond pas et continue son chemin. Le véritable ennemi du terrorisme est une foi solide exprimée avec amour. Celle-ci est la vraie barrière contre toute violence! Au contraire, la violence est le premier pas vers la mort du frère. C’est pourquoi l’homme religieux ne tolère pas que la violence s’infiltre dans sa vie.
Ainsi le croyant ne tombe-t-il pas dans le piège subtile de se mettre au centre et faire de la religion une justification qui couvre une attitude violente contre des innocents, laquelle est absolument étrangère au discours divin. La religion est manipulée quand le nom de Dieu est utilisé en vain, c'est-à-dire quand apparaît dans notre coeur un Dieu qui se félicite de la mort d'innocents. Le croyant a la tentation de chercher à justifier des intérêts non reliés à la volonté de Dieu contenue dans le texte sacré et à les présenter comme le fruit du dessein divin. La violence du terrorisme religieux contribue à radicalement purifier la foi du vrai croyant en lui évitant de confondre un choix idéologique de type politique avec un choix religieux qui se fonde sur un Dieu ne faisant jamais mourir un innocent. Mieux, ce Dieu les fera vivre tous. Le devoir du vrai croyant n’est donc pas de mourir mais de créer la vie, non de détruire mais de construire, non de tuer mais de faire vivre.