22 Septembre 2024 16:30 | Palais des Congrès

Discours de Haïm Korsia



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Haïm Korsia

Grand Rabbin de France
 biographie

Monsieur le Président de la République,

Madame la Maire de Paris,

Monsieur le Secrétaire perpétuel,

Mes chers amis,

Laissez-moi choisir le psaume 133 pour dire : qu'il est bon et agréable que les frères, et les sœurs, résident ensemble. Quand un rabbin parle, s'il ne cite pas les psaumes, il y a un problème !

Si nous parlons d'imaginer la paix – et vous voyez combien le titre est important, bousculant même – c'est que nous ne sommes pas en paix. Et avec Max-Pol Fouchet, je veux vous dire que le chemin le plus court pour aller du point A au point B n'est pas la ligne droite, mais le songe. Nous devons encore et encore rêver de paix afin de tracer un horizon collectif. Imaginer la paix, c'est déjà commencer à la construire. Si nous sommes en paix, ce qui semble si lointain ici en France et partout dans le monde, à quoi pouvons-nous rêver, que devons-nous alors imaginer ?

Être en paix, c'est peut-être s’interdire d'imaginer et de rêver. La paix, en hébreu, se dit shalom, qui veut dire plénitude. Et la plénitude, c'est la perfection. Le problème, vous l'avez compris : comment faire mieux que la perfection ? Voilà tout le paradoxe de la perfection de la paix, qui en fait, doit toujours être perfectible. La perfection, dans la Bible, c'est la perfectibilité. Il y a toujours à améliorer, à retisser les fils de la paix entre ceux qui savent trouver la force d’espérer, là où tant d'autres abdiquent. Nous savons, depuis Soulages, qu'il y a de l'outrenoir, c'est à dire la plus haute lumière de l'autre côté du plus profond des abymes. Ou comme Hölderlin, là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve. Et ce qui sauve, c'est notre capacité à imaginer malgré tout, oui malgré tout, à imaginer la paix.

J'ai toujours été bouleversé par cette école des Prophètes, selon le nom qu'elle s'était donnée, qui pendant la guerre, au Chambon-sur-Lignon, ce lieu des justes : les penseurs préparaient déjà la renaissance du judaïsme alors que rien n’assurait même qu'il ne disparaîtrait pas. Tout comme à Paris, rue du Four, lorsque le Conseil National de la Résistance se réunit au cœur du cœur de l'obscurité. Il se réunit pour préparer les matins qui chanteraient. Car si nous les imaginions, ces matins, ils adviendraient forcément. C’est exactement l'écho du psaume 130 : des profondeurs, je t'invoque Seigneur.

À l'heure où la peur abîme les esprits, enferme ceux qui cèdent devant elle, où la raison est sans cesse concurrencée par l'émotion, qui exige réparation, et où la réparation du monde lui-même, ce concept incroyable en hébreu le Tikkou Olam – la réparation du monde – requiert tant de sensibilité et d'intelligence mêlées qu'elle devient le grand défi de notre temps. Plus que jamais, il importe que vous soyez, vous cher Monsieur le président de la République, au nom de ce que vous incarnez et représentez, mais plus encore au nom de ce que vous êtes à nos côtés, tous les religieux et toutes celles et tous ceux qui espèrent en l'humain, en l’homme détaché de toute religion mais imbibé de cette obsession de l'humanisme, c'est-à-dire de la fraternité, c'est-à-dire du respect de l'autre, pour affirmer que la bataille n'est pas vaine, quelle peut être gagnée, que l'antisémitisme et la haine – toutes les haines – ne sont pas une fatalité, que lutter contre ces fléaux, c'est se battre pour tout le reste, et en particulier pour la capacité à toujours, encore et encore, rêver de paix.

Cela signifie pour nous, pour le judaïsme, mais c'est valable pour toutes les religions et c'est valable pour tous les humains, que pas un juif ne doit avoir la crainte de se rendre à sa synagogue, à l'école juive, à un cours dans une université publique, de prendre un taxi, d’avoir une mezouza à sa porte, de défendre ses opinions, une pratique, d'allumer des lumières de Hanouka.

Pas un homme, pas une femme ne doit craindre de pouvoir d’exercer sa liberté de culte ou d'existence que seule la paix assure. J’ai été défait quand j'ai entendu la Maire de Paris citer Victor Hugo, j'ai eu peur qu'elle reprenne ce texte merveilleux de Victor Hugo qui rentre à Paris, nous sommes le 5 septembre 1870, et il dit la chose suivante, écoutez comme ça résonne encore aujourd'hui : Etouffez toutes les haines, éloignez tous les ressentiments, soyez unis vous serez invincible. Serrons-nous tous autour de la République en face de l'invasion et soyons frères ! Nous vaincrons ! C'est par la fraternité qu'on sauve la liberté. Mais Victor Hugo imagine déjà cette fraternité sauvant la liberté, et il a déjà imaginé la paix, et elle se réalisera.

La paix véritable, celle que nous devons imaginer, n'est simplement pas limitée à l’absence de guerre – ce qui serait déjà bien – mais elle renvoie à des conditions matérielles d'abondance, à une valeur morale et en dernière analyse à un principe cosmique, pour nous à un attribut divin. Mieux : c'est le nom de Dieu. Dans le psaume 120, dans une espérance que nous sachions juste l'invoquer : Je suis la paix, et qui la réclamera ?

Aime ton prochain comme toi-même, dans le lévitique, n'est rien d'autre qu'un rêve de paix, parce que cela ouvre à la fraternité, parce que comme le clame le sage Hillel, du Talmud : Sois un disciple d’Aaron, qui aime la paix ; recherche le shalom, qui aime les gens et les rapproche les uns des autres.

J'ai eu l'honneur de servir nos armées en tant qu’aumônier et je n'ai jamais vu les militaires renoncer à la capacité d'imaginer la société dont rêvait Isaïe. Lui qui disait : de leurs glaives, ils forgeront des socs de charrue, et de leurs lances des serpes. Une nation ne tirera plus l'épée contre une autre, et l'on n’apprendra plus la guerre. Les soldats savent qu'il faut imaginer le jour d'après. Il faut rêver la réconciliation et il est plus difficile de faire la paix que la guerre, parce qu’il faut trouver un équilibre d'espérance qui convienne à chacune des parties. Mais c'est là toute la finalité du monde. Oui, parfois il faut combattre, livrer une guerre mais même alors, il ne faut surtout pas oublier d'imaginer la paix. Surtout à ce moment-là, la rêver avec l'autre. Parce qu’imaginer la paix, c'est s'imaginer à la place de l'autre, c'est faire cet effort de mise en perspective. C'est faire mourir une part de soi pour laisser en soi une part à l'autre. Parce que nous sommes les gardiens de la réalité de l'existence de l'autre. Parce que la paix est le fil de grâce émanant de Dieu, reliant tous les êtres célestes, intermédiaires, inférieurs. Elle sous-tend et soutient l'existence et la réalité unique de chacun.

La paix a tout de religieux et rien de religieux. Elle est le cœur de l'espérance du religere latin qui fonde à la fois les religions et les sociétés. La paix ne doit jamais être une donnée, quelque chose d'acquis ; c'est une recherche constante. La recherche du temps futur, si j'ose, un idéal toujours à conquérir. Imaginer la paix implique donc d'en parler, et je veux très sincèrement remercier la communauté de Sant’Egidio d’avoir osé nous proposer ce thème. Ne serait-ce que pour cela, cher Andrea, vous devriez recevoir le prix Nobel de la Paix. Et vous le savez, c'est une de mes demandes récurrentes, conférence après conférence, cérémonie des vœux après cérémonie des vœux, cher Monsieur le Président. Un jour viendra. Au fond, il faut imaginer le prix Nobel maintenant pour le voir se réaliser un jour ! Ce serait tellement légitime pour tous les combats qui sont les vôtres et que vous menez aussi en notre nom à tous.

Oui, il nous faut comprendre qu'imaginer la paix, ce n'est pas juste en rêver, c'est lui donner un sens et déjà une réalité. Parce que le Talmud affirme : les rêves se réalisent selon l'interprétation qu'on leur donne. Ne pas donner d’interprétation tout de suite, c'est nier ses rêves. Le Talmud dit : c'est comme une lettre qu'on n'ouvre pas.

Qu'est-ce que la bénédiction ? C'est la rencontre du rêve et de la réalité ; alors sachons imaginer la paix et la mettre en œuvre, la faire vivre au quotidien, car le rêve n'est pas une utopie. Il est un moyen de se fixer un objectif, il est l'idéal à atteindre, un chemin perfectible qui ouvre une résolution active des conflits. Rêver, imaginer suffit-il ? Comme l'a écrit Amin Maalouf, Secrétaire perpétuel de l'Académie française : seuls se félicitent d'être arrivés ceux qui se savent incapables d'aller plus loin.

Aussi je forme le vœu, parce que l'imagination est l'élan vital qui rend possible toute chose, qui nous force à sortir de notre quant-à-soi, qui nous offre la violence de l'espérance, si chère à Apollinaire. Imaginer la paix, c'est troquer nos âmes parfois si tièdes contre des cœurs brûlants ; c'est changer nos cœurs de pierre en cœur de chair. Aussi je forme le vœu, Monsieur le Président, mes chers amis, que nous puissions trouver les voies pour guérir une société trop souvent meurtrie, afin que la France retrouve, dans l'union et la concorde, un horizon de paix et de fraternité. Nous saurons ainsi retrouver notre vocation qui est de porter le flambeau de la liberté aux yeux du monde, le flambeau de la paix, le flambeau de l'espérance.