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Indunil J. Kodithuwakku

Secrétaire, Dicastère pour le dialogue interreligieux, Saint-Siège
 biographie
Notre monde s'embrase à nouveau : les guerres et les conflits dévastent la planète. Notre planète est en feu : nous ressentons de plus en plus les effets néfastes du réchauffement climatique. La violence à l'égard des autres êtres humains a un lien avec la violence à l'égard de la terre. La déshumanisation de l'autre se traduit par l'incapacité de voir l'autre comme un frère ou une sœur, ou lorsque l'autre n'est pas le bienvenu dans mon monde. Cette idéologie hostile de l'« altérité » incite à l'hostilité et à la polarisation, et les blessures qui en découlent peuvent durer des décennies et être héritées et transmises de génération en génération, ce qui entraîne une dégradation de la perspective morale de l'« autre ». L'acte de tuer devient alors un acte d'éradication de l'ennemi perçu en l'autre. La perte d'une vie humaine ne suscite aucun chagrin et, dans certaines situations, on se réjouit même de la souffrance ou de la mort d'autrui ou, pire encore, on considère qu'il n'a eu que ce qu'il méritait. Cela révèle une profonde crise morale car l'humanité a perdu l'empathie. D'ailleurs, nous sommes parfois responsables de la « violence du silence ». L'ingérence dans les conflits locaux par ceux qui détiennent le pouvoir pour des intérêts géopolitiques et les guerres par procuration provoquent d'autres violences et guerres. La montée du nationalisme et du populisme, ainsi que du radicalisme et de l'extrémisme, menace également la paix mondiale. Aujourd'hui, l'intelligence artificielle non réglementée est également capable de déstabiliser le monde.  
 
Nous imaginons tous un monde sans guerre ni violence. En effet, la plupart de nos fondateurs et enseignants religieux ont longtemps envisagé un monde sans guerres, où la paix et l'amour seraient les principes directeurs de l'existence humaine. Jésus-Christ, notre maître et notre guide, a illustré ce profond enseignement par sa vie et son sacrifice. Victime de la violence, il a fait l'expérience directe de la brutalité et de l'injustice qui frappent si souvent notre monde. Pourtant, face à cette souffrance, Jésus a choisi la voie de la paix et du pardon, étendant même son amour à ceux qui le persécutaient. Ses enseignements « Aimez vos ennemis » (Mt 5,44) et « Heureux les artisans de paix » (Mt 5,9) résonnent comme de puissants appels à transcender nos différences et à rechercher la réconciliation et la compréhension. La vie de Jésus démontre que la paix n'est pas passive ; elle exige un engagement actif, le courage de s'opposer à l'injustice et la volonté de cultiver l'amour, même dans les circonstances les plus difficiles.  
 
Ce message de paix et d'amour trouve un écho dans les enseignements d'autres chefs religieux et traditions. Le défi auquel nous sommes confrontés aujourd'hui est de prendre ces enseignements intemporels et de les appliquer dans un monde qui est encore souvent déchiré par des conflits. L'une des ironies tragiques de notre époque est que, alors que toutes les grandes traditions religieuses prônent la paix, la compassion et la dignité de la vie humaine, certaines personnes détournent les enseignements religieux pour justifier la violence. 
Pourtant, malgré les défis posés par la violence religieuse, il est essentiel de reconnaître et de célébrer les efforts continus des chefs religieux et des communautés qui sont profondément engagés dans la construction de la paix par la guérison, la réconciliation et la justice.  Nous sommes témoins du travail de transformation des initiatives confessionnelles qui cherchent à réparer les blessures des conflits et à construire des ponts entre les communautés divisées, les pays et le monde en général.  Nous devons continuer à rêver avec la tête, le cœur et les mains pour construire une culture de la paix. En ce moment précis de l'histoire, nous devons nous élever contre tous les types de tribalisme et concevoir un nouveau projet de vie comme suit :  
 
1. Identifier les causes : Nous sommes tous influencés par l'esprit et les coutumes de notre époque et de notre lieu.  Néanmoins, nous devons rejeter les courants dominants nuisibles et nager à contre-courant. Nous avons besoin d'outils pour appréhender sans préjugés les causes profondes des conflits locaux et mondiaux - facteurs socio-économiques, culturels, religieux, régionaux, locaux et géopolitiques. La paix s'épanouit dans des conditions de vérité, de justice, d'amour et de liberté et pour cela, des changements structurels et systémiques sont nécessaires.
 
2. Reconnaître et se repentir : Il se peut que nous ayons fait preuve de partialité, de préjugés, d'indifférence et même de violence dans nos paroles et nos actions. Nous pouvons être victimes, auteurs ou partisans tacites de la violence. Nous devons guérir notre aveuglement et celui des autres pour modifier notre façon de percevoir, de penser et de concevoir l'autre et la planète.  Parce que nous appartenons à une seule et même famille humaine, chacun a droit à la même dignité et au même respect.
 
3. Réparer la fraternité blessée : La réconciliation exige de surmonter les craintes de domination d'un groupe sur les autres, la justice économique, la guérison de la mémoire, le partage du pouvoir, en évitant toute instigation de la part de forces extérieures. Cette réparation devrait impliquer non seulement les chefs religieux, mais aussi la participation active des victimes, des délinquants et des membres de la communauté. La recherche de la paix comprend les dimensions de la prévention, de la protection et de la médiation.
 
4. Convertir l'inimitié en amitié : Nous devons réduire la distance entre les différents groupes de la société. Pour ce faire, il convient d'exploiter le pouvoir de transformation des religions et d'utiliser l'éducation pour transformer l'image de l'ennemi grâce à des programmes visant à briser les cercles vicieux de la peur, des stéréotypes et de la violence. Les femmes, les jeunes et les enfants doivent être encouragés à devenir des artisans de la paix. 
 
5. Le dialogue pour la construction de la paix : Le dialogue est l'antidote à la guerre et aux conflits car il permet de trouver des moyens non violents de résoudre les conflits, de construire des ponts, de contrer les théories du complot et les rumeurs sans fondement, de favoriser la confiance mutuelle et l'amitié, de mobiliser différents groupes pour qu'ils travaillent et marchent ensemble. Nous sommes interconnectés et interdépendants, c'est pourquoi le dialogue doit être étendu à la société civile, aux adeptes d'autres traditions religieuses, aux médias, aux organisations nationales, régionales et internationales, aux communautés universitaires et scientifiques, et à toutes les autres parties intéressées par la promotion de la paix. La diplomatie et le multilatéralisme devraient être davantage utilisés dans les affaires internationales.  
 
6. Recueillir des récits pour un nouvel humanisme : La guerre est terrible. Il est nécessaire de donner une voix aux récits des survivants de la guerre (Hiroshima, Nagasaki, camps de concentration nazis et autres guerres en cours) pour réveiller notre monde et l'inciter à s'opposer à la cruauté de la guerre. Il faut encourager les gens à visiter les musées de la guerre, les parcs de la paix, les cimetières militaires, car la connaissance de l'histoire de la guerre et de sa violence effroyable pourrait inciter beaucoup à éviter les erreurs du passé. Cela exige de raconter les histoires des artisans de la paix non violents pour motiver les autres à s'engager dans la non-violence. Les initiatives culturelles et artistiques, le sport, l'internet et les réseaux sociaux peuvent être utilisés pour cultiver la paix.  
 
7. Reconnaître le bien : Nous devons apprécier les initiatives louables des individus, des communautés, des gouvernements et des différentes organisations qui visent à réduire la pauvreté, à aider les migrants, à fournir une aide humanitaire, à promouvoir le dialogue, etc.  
 
8. Pratiques religieuses et purification : La prière peut : transformer un « cœur de pierre » en un « cœur de chair » ; réveiller la conscience ; chasser les pensées violentes ; générer l'amour bienveillant, la miséricorde et le pardon ; éradiquer les fléaux sociaux. Elle peut faire de nous des artisans de la paix. 
 
En conclusion, les enseignements de Jésus et d'autres chefs religieux nous rappellent qu'un monde sans guerre est non seulement possible, mais qu'il s'agit également de l'accomplissement de notre vocation la plus élevée. En vivant ces enseignements, nous contribuons à la réalisation de ce rêve divin, en rapprochant l'humanité de la paix à laquelle nos cœurs aspirent et que nos religions proclament depuis longtemps. Tenons compte de l'avertissement du pape Jean-Paul II, prononcé à Assise en 1986 : « Soit nous apprenons à marcher ensemble dans la paix et l'harmonie, soit nous nous éloignons les uns des autres et nous nous ruinons nous-mêmes et les autres » (Basilique Sainte-Marie-des-Anges, 27 octobre 1986, n° 5). Portons cette vision, affermis dans la conviction qu'ensemble, nous pouvons créer le monde dont nous rêvons, un monde où la fraternité universelle n'est pas seulement un espoir, mais une réalité.