24 Settembre 2024 09:30 | Eglise Saint-Merry

Discours de Iosif Pop



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Iosif Pop

Metropolita ortodosso, Patriarcato di Romania
 biografia
La paix est inconcevable
La question se pose dès le départ : pouvons-nous imaginer la paix ? Avons besoin d’imaginer la paix ? La réponse est oui, nous avons besoin. Mais quelle paix ? Nous ne pouvons du reste pas imaginer la vraie paix, celle du Royaume de Dieu. Nous pensons à la paix de façon négative, comme absence de guerre et de conflits divers. La paix est inconcevable pour l’être humain depuis la perte du Paradis. La première humanité l’a connue. Mais ce n’était pas encore la perfection de la paix. Les saints Pères disent qu’on ne sait pas combien a pu durer cette paix. En tout cas, elle n’avait pas la perfection de la paix venue d’En Haut par Jésus Christ, en qui les chrétiens reconnaissent le Fils de Dieu.
 
La paix procède du martyre
La paix n’est pas un produit de l’imagination, de la pensée ou de la seule volonté de l’homme, même s’il est de bonne volonté. Elle est une grâce divine et non créée qui est donnée par le Fils, celui que le prologue de l’évangéliste Jean nomme le Verbe (Jn 1, 1). Voici ce que dit Dieu le Verbe : « Je vous laisse la paix, Je vous donne ma paix. Je ne vous la donne pas comme le monde la donne » (Jn 14, 27). Ainsi, la paix nous est donnée par Dieu. Et elle nous est donnée d’une façon toute particulière : par le martyre. Elle procède de la Croix, ou plutôt de celui qui y monte par amour pour le monde.
 
La paix naît du sacrifice de soi
Le Christ est le martyre par excellence, celui qui signe de son propre sang la vérité dont Il est le garant. Martyre veut dire témoin, on le sait. Mais il s’agit d’un témoignage associé au sacrifice de soi par amour pour autrui, y compris pour les bourreaux et les tortionnaires. Le Christ a démontré que, par le sacrifice de lui-même par amour pour le Père céleste et pour tous les hommes, jaillissait de son corps supplicié une paix incompréhensible. Le martyre irradie ainsi la grâce divine, l’énergie non créée de la paix divine qui se répand sur tous les hommes. C’est de cette façon que la paix nous est donnée, une paix incompréhensible, inconcevable, inimaginable.
 
La paix comme crédibilité du message
Cette réalité se vérifie dans tous les cas où un être humain donne sa vie pour les autres avec une conscience supérieure de la vérité dont il témoigne. Le martyre est ainsi double : une manifestation extraordinaire d’amour sacrificiel, et une crédibilité irréfutable du message assumé. L’amour sans limite donne la paix ; la vérité indiscutable donne la paix. De nombreux martyrs (aussi non chrétiens parfois) en sont l’exemple à notre époque et dans les époques reculées. Mais l’oblation de soi accomplie par Jésus Christ est une source unique de paix parce qu’Il a été jusqu’au bout de ce qu’on appelle le martyre : Il n’a pas subi la souffrance et la mort pour autrui ; Il les a choisies comme source de paix et de joie pour tous les hommes. Il a vaincu la mort et la peur que celle-ci inspire ; Il a vaincu la souffrance morale et physique et la répulsion qu’elles inspirent ; et Il a donné au monde sa paix, la paix divine qui a sa source dans le Père.
 
La puissance du martyre
L’exemple des martyrs de tous les temps montre un phénomène d’irradiation : du martyre se dégagent une lumière, une douceur, une consolation, un pardon et souvent la puissance d’un changement profond chez ceux qui l’approchent. Le sacrifice du premier martyre, l’archidiacre Etienne en est l’exemple : par sa douceur, par sa prière pour ses bourreaux, par la lumière qui irradiait de lui, par la paix avec laquelle il s’endormit en Dieu, il toucha le cœur d’un de ses persécuteurs qui devint l’apôtre Paul. Le martyre dégage une puissance, une énergie de paix et de transformation. Le martyre change le monde par la paix qui se dégage de sa personne.
 
Les martyrs de notre temps
A notre époque, nous avons fait l’expérience de cela dans la Roumanie opprimée de depuis la seconde Guerre mondiale. Des hommes et des femmes en nombre impressionnant furent arrêtés, emprisonnés, exilés, déportés, torturés et tués. Ce n’étaient pas seulement des chrétiens qui subissaient ces souffrances. C’étaient les personnes qui tenaient à la liberté de pensée, d’expression et de vie. L’insupportable liberté donnait la rage aux tenants du totalitarisme : la paix est un défi. 
 
La prière pour les bourreaux
Presque toujours, le martyre se heurte au pouvoir, qu’il soit politique ou religieux. Le pouvoir n’aime pas la liberté. Et, dans notre pays de Roumanie, les chrétiens ont particulièrement souffert ; ils subissaient les effets de la haine qui s’était développée contre le Christ, contre l’Évangile, contre les chrétiens et contre leur Église. Nous avons des témoignages nombreux de la façon dont ces chrétiens – orthodoxes, catholiques et protestant ou réformés – répondaient à la haine par l’amour. Dans leurs cellules mêmes, par leur foi et leur prière, ils dégageaient une paix qui souvent touchait le cœur des bourreaux et le changeait. 
 
L’esprit des Béatitudes
L’Église roumaine a fait tout un travail de publication afin que soient connus les noms des martyrs contemporains, ces « artisans de paix », selon l’esprit des Béatitudes : ces « doux » ont reçu la terre en héritage (cf Mt 5, 4) parce qu’ils ont, sans violence et sans pouvoir, changé leur peuple de l’intérieur ; « affligés » pour leurs propres bourreaux, ils ont été consolés en apprenant leur conversion ; « miséricordieux », ils ont obtenu miséricorde et le pays fut délivré de la tyrannie totalitaire en décembre 1989. « Heureux, dit encore le Christ, les persécutés pour la justice, car le Royaume des cieux leur appartient » : mais les persécutés ne se réservent pas cette paix du Royaume et la communiquent à tous les hommes.
 
Les saints changent leur peuple
La transformation d’un peuple par la puissance du martyre en son sein ne se voit pas de façon spectaculaire, parce qu’elle ne relève pas d’une forme de pouvoir. C’est une irradiation intérieure de la paix divine qui gagne les consciences comme une huile. La paix ne peut être imposée, ou bien elle ne serait plus la paix. Elle est donnée d’En Haut ; elle s’écoule comme une persuasion sans violence et toutefois convaincante. Elle produit des fruits, non seulement dans le secret des consciences, mais aussi sur le plan des institutions (par la modification des lois de la société civile par exemple). La puissance du martyre se manifeste ainsi dans nombre de sociétés contemporaines.
 
La paix triomphe, paradoxalement, sur la Croix
Nous ne pouvons pas ignorer toutefois que les martyrs et la paix qui s’écoule paisiblement de leur personne peuvent être en butte au refus et à l’hostilité. Ce qui retarde les effets pacificateurs du martyre c’est précisément le rôle de l’Adversaire dans l’Histoire universelle, le « mystère d’iniquité » dont parle saint Paul (2 Th 2, 7). L’époque contemporaine le montre : la paix qui est déjà donnée et offerte se heurte à la haine de ceux qui préfèrent la guerre, c’est-à-dire la façon considérée comme efficace pour imposer un pouvoir. C’est pourquoi la paix, comme l’amour, comme la justice, comme l’humanité de l’homme, comme la divinité de Dieu, est crucifiée. Crucifiée, elle triomphe, parce qu’elle démontre ainsi qu’elle est paix et non pas violence. Ainsi le lien substantiel entre le martyre et la paix a-t-il pour emblème la Croix.